« La liberté de parole est d’or, le silence est de plomb. » Tout est dit dans cette citation d’Hervé Bazin. Et oui, les temps de parole dans le milieu professionnel sont essentiels, vitaux même.
Oui, les temps de parole au travail sont essentiels !
Parce que la parole exprimée permet d’exprimer des besoins, des pensées, des sentiments, des souffrances des aspirations au-delà et bien plus précisément que le simple langage non verbal. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’étymologie du mot est la même que celle du mot « parabole » en grec qui signifie « rapprochement, comparaison ».
Parce que la parole est un acte de création et de relation par excellence, elle a toute sa place au travail. En se parlant, les individus confrontent leurs points de vue et peuvent trouver des terrains d’entente.
A contrario, le silence tue. L’étude suédoise Wolf publiée en 2009 qui a suivi 3122 employés sur dix ans, montre ainsi une corrélation évidente entre les maladies cardiovasculaires et un environnement où l’on n’a pas droit à la parole.
Alors, pourquoi, parfois, est-il si difficile pour les managers de mettre en place des groupes pour les temps de parole ? Le premier frein vient directement des dirigeants. Longtemps, ceux-ci ont considéré que donner la parole à leurs subalternes mettrait leur autorité en péril. Beaucoup ont préféré privilégier un système autoritaire au débat contradictoire. Or, la société a évolué. Le rapport au travail des salariés également. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui veulent trouver dans leur travail un facteur d’épanouissement, qui veulent pouvoir apporter leur pierre à l’édifice et non plus être de simples exécutants. Et c’est là que toute l’importance du groupe de parole intervient, à condition toutefois que la parole soit libre et que chaque participant soit volontaire.
Qui dit parole, dit écoute dans les temps de parole
Dans groupe de parole, il y a groupe, une notion très importante. Permettre à chacun d’exprimer ses ressentis et ses propositions va permettre de créer une dynamique et de déjouer les éventuelles situations de repli sur soi. Surtout, il suscite l’observation d’une problématique d’un point de vue extérieur et collectif et non plus par le « petit bout de la lorgnette », avec son lot de récriminations certes, mais aussi une vraie volonté de faire avancer les choses.
S’il est bien mené, le groupe de travail devient alors un lieu d’écoute respectueuse, un lieu de remise en question qui invite chacun à comprendre son positionnement dans le contexte donné et à prendre sa place individuellement ainsi qu’au sein du collectif.
On ne peut pas parler de parole sans parler d’écoute. Dans une société où tout va très vite, dans des milieux professionnels où l’ambition pousse à aller de l’avant sans trop se poser de questions, la notion d’écoute prend tout son sens. Ecoute des salariés entre eux, écoute du salarié envers son supérieur hiérarchique, écoute du manager envers son subalterne… Pour un manager et dans un contexte d’optimisation des stratégies, elle est devenue une aptitude primordiale. Parce qu’elle lui permet de percevoir les sentiments et idées, y compris les non-dits, de ses interlocuteurs. Parce qu’elle l’aide à écarter tout préjugé ou toute idée préconçue. Parce qu’en valorisant le subalterne, elle lui évite de nombreux problèmes, dont les conflits bien sûr, ou du moins contribue à les anticiper. Ceci dit, un groupe de parole ne doit pas devenir une foire aux diatribes. Et pour cela, il est indispensable d’établir des règles et des objectifs précis.
Définir des règles et des objectifs précis pour la mise en place d’un temps de parole
Les temps de parole sont-ils destinés à :
- Réduire les tensions,
- A améliorer les pratiques professionnelles,
- A accompagner un projet,
- A résoudre des situations difficiles,
- A redéfinir le rôle de chacun au sein de l’organisation ?
Est-on dans un groupe d’analyse des pratiques professionnelles, dans un groupe de régulation, dans un groupe de supervision ? Est-il destiné à des personnes régulièrement exposées à des situations difficiles à fort potentiel traumatogène ou à des personnes pas ou peu formées pour des factions qu’elles assument en lien avec des pairs ?
Les réponses à toutes ces questions doivent être clairement posées lors de la mise en place du temps de parole. On ne peut pas vouloir mobiliser la puissance du collectif pour résoudre des problèmes, détecter et tirer profit d’opportunités sans établir des règles claires. Quel est l’objectif du groupe de parole, sa durée, sa périodicité ? Quel est le rôle de chacun ? Qui va gérer le temps de parole, veiller à ce que chacun puisse s’exprimer sans peur et sans tabous ?
Le temps de parole destiné à la régulation vise à redéfinir le rôle de chacun et à pacifier les relations interprofessionnelles. On parle alors de co-régulation en opposition à l’auto régulation sujette très souvent à des dérives faute d’encadrement précis.
Le temps de parole destiné à l’analyse des pratiques va permettre, à partir des expériences présentées par les participants, le développement et la formalisation des savoirs professionnels. Il concerne avant tout des personnes dont le métier est l’intrication de dimensions techniques et humaines et qui, au travers du groupe de parole, va apprendre à démêler son implication personnelle de sa posture professionnelle, en clair à trouver « la juste distance ».
Le temps de parole destiné à la supervision n’est que l’étape supérieure décrite ci-dessus. Elle donne l’occasion à chacun d’exprimer une difficulté professionnelle active et non résolue et de recueillir des avis et des approches différents de son problème, lui permettant ainsi de trouver sa propre voie de résolution. Contrairement à l’analyse des pratiques, elle ne vise pas la prévention d’un risque, mais la nature même du travail.
Enfin, le temps de parole destiné au co-développement consiste à partager des pratiques professionnelles et à cultiver une intelligence collective. Les participants ont envie d’apprendre les uns des autres, d’aborder autrement leur rôle, leur légitimité, leur périmètre d’influence et leurs modes d’actions.
Avantages collatéraux de la mise en place d’un temps de parole
Au-delà de proposer à chacun un lieu d’expression où il pourra déposer tout ce qui l’anime ou le préoccupe, le temps de parole a de multiples avantages. Par sa démarche de transparence, le manager ne peut que susciter sinon l’enthousiasme du moins la motivation de ses subalternes.
Le salarié, parce qu’il est invité à s’exprimer, se sent pris en compte dans ses opinions comme dans les décisions qui seront prises à un plus niveau. Il assouvit l’un des besoins fondamentaux de l’être humain qui est de se sentir reconnu dans ce qu’il est, à la fois en tant qu’individu et en tant que membre actif d’une organisation quelle qu’elle soit.
On ne parle alors plus de chef et d’exécutant, mais de collaboration vivante où la créativité et la recherche de performance organisationnelle ont toute leur place. Parce que la parole a libre cours, la communication non verbale ne peut pas prendre une place démesurée et les gestes, mimiques, regards ne sont plus interprétés, mais seulement considérés pour ce qu’ils sont dans la plupart des cas, à savoir de simples expressions corporelles.
La parole étant libérée, chacun n’a plus rien à cacher, plus rien qui le ronge, évitant ainsi de nombreux drames dont les suicides au travail. En France, pas moins de 1200 morts, et le chiffre est en deçà de la réalité, sont reconnues en lien avec le travail. A partir du moment où chacun se sent pris en considération et donc uni à une collectivité, à une organisation ou à un groupe, le risque de conflit, de maladie, d’accident et de geste désespéré diminue de façon significative.
En clair, chaque organisation devrait s’astreindre à proposer et à organiser des temps de parole. Tout le monde en sortirait gagnant.